EN MARCHE POUR L’ÉGALITÉ :

PARCOURS INSPIRANTS DU CONTINENT AFRICAIN

Le club Afrique de Neoma, dont Gilles Marque est un des animateurs, a organisé une conférence sur l’égalite Femmes/Hommes en Afrique. Retour sur cet événement de fin 2023.

Dans le monde des affaires, « les obstacles rencontrés par les femmes sur le continent africain sont les mêmes qu’en France, qu’aux États-Unis… Les stéréotypes de genre existent partout, lance d’emblée Élisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes entre 2020 et 2022. Sur les 1 800 entreprises créées en France, 275 le sont par des femmes, soit un quart seulement alors que nous représentons la moitié de la population. » 

De cette difficulté des femmes à s’imposer dans la sphère professionnelle, la dirigeante en sait quelque chose. À vingt ans, elle lance son entreprise dans le bâtiment, puis passe vingt ans dans le monde de la Tech. Elle rappelle qu’elle a été juge, et qu’elle a été membre du gouvernement. Autant de milieux particulièrement masculins. « C’est compliqué en France, cela l’est encore plus en Afrique, reprend-elle. Les femmes ont la même volonté d’entreprendre, mais pour des questions culturelles et sociales, elles sont attendues à la maison, et non pas dans l’entrepreneuriat.» Certes en France, les femmes bénéficient d’aides, notamment pour conjuguer vie personnelle et vie professionnelle, ce qui n’existe pas sur le continent africain. Mais il n’empêche, «les problèmes de financement sont les mêmes », déplore-t-elle

LA CAUTION MASCULINE

Ce n’est pas Hanane Abdeli qui viendra la contredire. CEO du restaurant Mama Nissa, à Paris, son parcours dans ce monde ultra-masculin est jonché d’embûches et d’étonnements. Diplômée de l’ESSEC, elle travaille une dizaine d’années dans la finance et l’assurance avant de décider de faire connaître la cuisine algérienne, celle de sa maman. « Je ne connaissais rien à la restauration, alors je me suis inscrite à l’école Ferrandi. En tant que femme, on cherche toujours une légitimité : on ne se sent pas à notre place si on n’a pas les diplômes. » Elle présente son projet à un concours, elle obtient alors le premier prix. Dans le jury : des banquiers et des assureurs. « Ils étaient prêts à me financer, mais ils m’ont fait comprendre que me lancer seule était dangereux, confie-t-elle. J’ai dû m’associer à mon mari et son père qui se sont portés caution. » Puis c’est encore le parcours du combattant pour la femme d’affaires. Les bailleurs, les artisans, les entrepreneurs préfèrent s’adresser à son mari, plutôt qu’à elle. «C’est très dur et c’est scandaleux», souligne-t-elle. Depuis 2019, son entreprise Mama Nissa se porte bien. Elle emploie huit personnes, dont sept femmes.

En Afrique, les femmes sont aussi de grandes entrepreneuses. Solène Jalet (PGE 23), animatrice de la table ronde, cite un discours d’Hillary Clinton en Éthiopie en 2011 : « Les femmes africaines sont les plus travaillantes au monde. Si toutes les femmes en Afrique, du Caire à Cape Town, décidaient de cesser de travailler, l’économie africaine s’effondrerait.» Élisabeth Moreno, également présidente de LEIA Partners, précise : « L’entrepreneuriat des femmes en Afrique est un entrepreneuriat de nécessité. Elles ne cherchent pas une expérience, elles ont besoin de nourrir leurs enfants. C’est la grande différence. Les femmes africaines savent très bien comment entreprendre, elles le savent par instinct et non par formation. Si elles étaient formées, elles feraient des miracles ! » C’est justement pour passer de l’intuition à la formation qu’Eugénie Ndiaye a fondé le collectif Les Bâtisseuses. «Dans l’économie informelle africaine, les femmes sont dépositaires d’un énorme savoir. En matière d’écoconstruction notamment, elles connaissent les techniques et l’histoire de ces techniques.» Les Bâtisseuses, organisme de formation dans les métiers du bâtiment, valorisent ces connaissances. «Non seulement c’est important de les transmettre, mais aussi de prendre conscience qu’elles sont précieuses. Alors qu’elles sont en situation de migration en France, elles retrouvent une place dans la société.» Et elles contribuent à féminiser les métiers du BTP.

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LES QUOTAS POUR PASSER À L’ACTION

Et quid de ces inégalités femmes-hommes dans le monde de l’entreprise sur le continent africain? Aujourd’hui, Aminata Ndiaye Niang, DGA du groupe Sonatel, opérateur téléphonique au Sénégal, vante les bienfaits d’une démarche volontariste dans ce domaine. « Je n’étais pas favorable aux quotas dans les entreprises, c’était pour moi une forme de discrimination et je craignais que les gens ne soient pas légitimes à leur poste, rapporte-t-elle. Mais la gouvernance inclusive, avec des priorités claires, des objectifs quantifiés, est le seul moyen d’avancer : on passe du vœu pieux à des avancées concrètes et tangibles. Ça permet d’aller chercher les talents quand les femmes s’autocensurent ; et de stimuler des candidatures féminines quand des postes sont sous staffés. » Elle détaille les quatre piliers qui pilotent cette gouvernance. Le premier est l’accessibilité des réseaux de management pour les femmes. « Chez Sonatel, on est déjà à 44%», se réjouit-elle. Le second est la place des femmes dans les métiers techniques ; le troisième est l’égalité salariale; le quatrième est l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle.

Si Sonatel a su passer de l’intention à l’action et obtenir des résultats, difficile d’en dire autant de toutes les entreprises. C’est du moins ce qui ressort d’une étude menée par le cabinet BearingPoint et le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) auprès d’organisations françaises présentes sur le continent africain. « Nous avons lancé l’initiative d’un baromètre avec vingtcinq indicateurs», explique Jean-Michel Huet (PGE 97), associé chez BearingPoint. Ces critères sont répartis en cinq dimensions : direction et gouvernance; rémunération; culture d’entreprise et communication; parcours au sein de l’organisation; écosystème de l’organisation. L’enquête révèle un manque de maturité de ces entreprises. Si trois quarts d’entre elles sont d’accord pour engager une égalité salariale, plus de la moitié n’a rien fait pour cela. Si les deux tiers sont sensibles à l’équilibre de la représentation des hommes et des femmes dans les organes de direction, les trois quarts n’ont rien mis en place. Bien sûr qu’il faut lutter contre les discriminations ou le harcèlement, mais quasiment aucune n’a mis en place une campagne de sensibilisation en interne. «Il y a une vraie marge de progrès, note Jean-Michel Huet. Et pour cela, les entreprises doivent avoir de meilleurs indicateurs que le seul salaire. »

« Les indicateurs et les recommandations sont essentiels, rebondit Élisabeth Moreno, mais dans les recommandations, il faut un changement civilisationnel. Si on ne travaille pas l’aspect sociologique, si on ne rassure pas les hommes sur leur place dans la société, et si tout le monde comprend qu’il ne s’agit pas d’une guerre entre les sexes, on y est encore dans cent ans. » Et de rappeler que les hommes doivent prendre part au débat pour faire reculer les inégalités.

Extrait d’un article d’Anne FaureNéoma Alumni Mag #37, Décembre 2023

Une conférence des clubs Afrique et WO.MEN by NEOMA Alumni, présentée par Solène Jalet (PGE 23), Gilles Marque (MBA FT 87) et Jean-Jacques Yoboue (MS AFI 16), dont le replay est disponible ici : https://bit.ly/NAM37-A

Conférence sur l’égalite Femmes/Hommes en Afrique